Une bande dessinée
Dix conseils de Christian Quesnel
En introduction, je tiens à mentionner que la bande dessinée n’est pas un genre littéraire mais bien une forme d’art en soit (le neuvième), qui partage à la fois le même support (le livre) que la littérature et qui s’apparente au cinéma par l’utilisation d’images séquentielles.
Trouver un sujet qui nous passionne
Comme beaucoup de projets en création, l’élaboration d’un album de bande dessinée demande un investissement de temps important et souvent fastidieux. C’est pourquoi bien choisir son sujet est impératif et doit nous intéresser au plus haut point puisque nous avons à y travailler pendant plusieurs mois et années. Il faut donc carrément être habité par son sujet et vouloir en connaître toujours davantage sur celui-ci.
Écrire un synopsis et le faire valider par des personnes constructives
La colonne vertébrale de la bande dessinée, c’est le récit et ce, même si les dessins sont faits de «bonhommes-allumettes». Parfois, on y est tellement submergé qu’on ne voit plus clair même à l’aide du schéma actantiel de Greimas! Ça nous prend un ou plusieurs lecteurs à portée de la main pour obtenir une critique constructive. À éviter : le soumettre à trop de gens ce qui va vider le récit de sa personnalité, de votre touche personnelle.
Bien cibler son public
En même temps qu’on élabore le scénario, il faut bien cibler notre public et, par la suite, faire en sorte qu’il soit toujours en filigrane lors de la création de la bande dessinée : je parle ici autant des textes que de la création des personnages, du découpage et de la création des planches finales. Avec une sortie annuelle de 5000 BD francophones par année, on se doit de penser à tous les aspects pour donner la meilleure des chances à notre projet de trouver son public.
Faire une recherche documentaire et iconographique approfondie
En bande dessinée, la recherche documentaire et iconographique est souvent très importante du fait qu’il faut illustrer littéralement l’ensemble du récit. Un récit contemporain ne demande pas tant de recherche car on a tout à notre portée. Par contre, pour un récit qui se déroule au Moyen-Âge, c’est une autre paire de manche et il faut souvent mettre la main sur des livres spécialisés ou faire mettre à contribution les collections de musées. Pour les récits qui ne sont pas trop éloignés de notre époque, il y a une mine de documents indispensables regroupés dans les catalogues de magasins généralistes. Rien de mieux qu’un catalogue Sears de 1896 comme outil de référence pour illustrer la fin du 19e siècle.
Bien travailler son découpage
C’est lorsque l’on détermine la composition de chaque planche de bande dessinée, par sa spatialité, que l’on détermine la temporalité du récit et, du même coup, celle du lecteur. C’est ici qu’une scène de dialogue peut être ponctuée de silences et de non-dits, et qu’une scène d’ouverture peut prend des allures de grands espaces. Par sa verticalité extrême, une case peut accentuer l’effet de hauteur d’une scène. Par une succession de nombreuses petites cases, on peut accélérer le rythme de lecture et donc, du temps du lecteur, etc. Il ne faut pas non plus négliger le rôle de la gouttière, l’interstice entre deux cases, qui est l’espace mental du lecteur lui permettant de franchir les passerelles elliptiques nécessaires au déploiement du récit.
Diriger le regard
Dans l’écriture conventionnelle, le sens de la lecture va de soi. Dans la bande dessinée, toute la construction du dispositif de la bande dessinée repose sur le sens de la lecture et il est impératif de l’utiliser à son plein potentiel. L’espace tabulaire de la planche doit être construit pour diriger l’oeil de gauche à droite et de haut en bas. Par exemple, si l’on dessine un personnage qui court de gauche à droite, il se dirige quelque part. Si, au contraire, il court de droite à gauche, il revient sur ses pas. Telle est la perception qui s’opère inconsciemment chez le lecteur qui est le moteur qui active le récit en bande dessinée.
Faire « bouger la caméra »
Lié au découpage, cet aspect peut enrichir l’expérience du lecteur en variant le prises de vue. On voit souvent de nouveaux auteurs tenter d’en mettre plein la vue au lecteur en faisant constamment bouger les prises de vue ce qui peut être désorientant pour le lecteur. Je crois qu’on peut y aller de façon parcimonieuse. Par exemple, lors d’une scène de dialogue, on peut illustrer la scène de la discussion mais aussi imager le propos en soit, une sorte d’image «off», question d’enrichir visuellement le tout.
Penser à l’éditeur
Ce point est une annexe au public-cible. Bien savoir à qui on s’adresse va nous indiquer quelle est l’antenne idéale (quel éditeur) pour rejoindre notre public. On se doit d’orienter la création d’une bande dessinée en pensant à l’éditeur… à moins de vouloir s’auto éditer.
Utiliser absolument tout au service de la narration
Outre le découpage et le sens de la lecture, tout — mais absolument tout — peut servir la narration en bande dessinée. Bien détacher les plans des uns des autres, l’utilisation intelligente de la couleur ou du noir et blanc, la répétition d’éléments graphiques disséminés à des moments-clés du récit pour créer ce que Thierry Groensteen nomme le tressage, sont des éléments à prendre en compte lors de la création des planches.
Créer en mode « double-planche »
Une autre façon de prendre en compte la réalité du lecteur, c’est de garder en tête que la posture de celui-ci est celle d’une personne regardant un livre ouvert. Cette évidence, dans les faits banale, prend tout son sens lorsque l’on crée une bande dessinée. Puisque le lecteur se retrouve devant le livre ouvert, ce qu’il voit, ce sont deux planches, une gauche et une droite. En tant que créateur de bande dessinée, il faut toujours penser à ces pages (gauche+droite) qui constituent un tout, un ensemble, indissociable, qui se montre tel quel au lecteur de par les bandes, les couleurs et la composition harmonieuse.